Le 8 aout 2016, à l’initiative de la ministre du travail Myriam El Khomri au nom du gouvernement Valls,
la loi n°2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des
parcours professionnels voit le jour.
Après des mois de débats et plusieurs recours à l’article 49-3, la loi El Khomri a finalement été adoptée
définitivement par l’Assemblée nationale le 21 juin 2016. Cette loi très controversée fut l’objet d’une
saisine du Conseil Constitutionnel, dans le cadre d’un contrôle à priori, qui n’a finalement censuré que 5
articles secondaires de la loi. Le Conseil Constitutionnel ne s’est en revanche pas prononcé sur ses plus
importantes dispositions pourtant sérieusement débattues.
Mais alors qu’apporte réellement cette loi ?
Notre article par Maxence Genty avocat à Lyon
Le respect nécessaire du temps de repos et des congés payés soulevé par la loi
La loi El Khomri prévoit que les entreprises doivent mettre en place toutes les mesures nécessaires visant à assurer tant le respect des congés payés que du temps de repos. Ainsi notons que l’article L3141-8 du code de travail prévoit notamment des congés supplémentaires ouverts à tous les parents de moins de 21 ans, sans distinction de sexe.
La loi précise que ces mesures doivent être négociées entre les représentants du personnel, les représentants syndicaux et la direction de l’entreprise.
La primauté de la négociation d’entreprise
La primauté de la négociation d’entreprise instauré par la « loi Travail » est l’un des articles les plus controversés de la loi. Il prévoit qu’un accord d’entreprise peut remplacer les dispositions d’un accord de branche, même si l’accord d’entreprise est nettement moins favorable aux salariés.
La mise en place d’accord dits « offensifs »
La loi El Khomri a donné naissance à la notion d’accords d’entreprise dits “offensifs” dont l’objectif est de permettre d’améliorer la compétitivité des entreprises en accord avec les délégués syndicaux. Ces accords influent dès lors sur les conditions de travail des salariés. L’impact concerne généralement la rémunération ou le nombre d’heures travaillées.
Les accords d’entreprise « offensifs » succèdent aux accords « défensifs » qui offraient déjà la possibilité
aux entreprises de moduler la durée du travail et les salaires sur une période de 5 ans à condition de
maintenir les emplois. Ces nouveaux accords devaient constituer le remède miracle pour créer de
l’emploi en étendant le champ d’application des précédents accords dits “défensifs” aux conditions de
travail, à l’aménagement du temps de travail, aux avantages accordés aux salariés ou encore à la
mobilité.
Toutefois, ces accords en vue de « favoriser l’emploi » risquent d’avoir l’effet inverse de celui escompté.
En principe, ils ne peuvent avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié d’après
l’article L.2254-2, néanmoins cette affirmation doit être nuancée d’emblée, car si le temps de travail de
base peut augmenter sans que le salaire, lui, ne bouge, ce qui aboutit donc à diminuer la rémunération
horaire. A y regarder de plus près, on constate qu’on risque non point de déboucher sur la préservation
ou le développement de l’emploi, mais sur la facilitation du licenciement abusif. Etat des lieux, loin des
effets d’annonce.
La rémunération des heures de travail supplémentaires
La loi EL Khomri avance que la rémunération des heures supplémentaires reste majorée à 25% pour les 8
premières heures et 50% pour les suivantes. Toutefois, il est possible qu’un accord effectif prévoit un
taux de majoration inférieur à celui fixé par la branche, sans pouvoir descendre en dessous de 10%.
Ces nouvelles dispositions se trouvent à l’article L. 3121-33 du code du travail qui prévoit que le taux de
majoration des heures supplémentaires accomplies ne peut être inférieur à 10% et à l’article L.3121-36,
qui dispose qu’à défaut d’accord, les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de salaire
de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires et les heures suivantes à une
majoration de 50 %.
Les nouveaux critères du licenciement économique
Apport important de la loi El Khomri : la mise en avant de nouveaux critères pour le licenciement économique. Si le licenciement économique reste évidemment possible, la loi propose tout de même une application nouvelle des critères de licenciement selon la taille de l’entreprise en cause. Voici les nouveaux critères prévus par la loi pour que les entreprises puissent l’appliquer :
- Une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plus d’1 trimestre pour les PME de moins de 11 salariés
- Une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant 2 semestres consécutifs pour les entreprises de 11 à 50 salariés
- Une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant 3 semestres consécutifs pour les entreprises de 50 à 300 salariés.
- De pertes d’exploitation pendant plusieurs mois
- D’une importante dégradation de la trésorerie
- De tout élément de nature à justifier ces difficultés.
La mise en avant d’une neutralité religieuse en entreprise
Disposition importante de la loi Travail, le gouvernement a inscrit au sein de celle-ci l’autorisation pour les entreprises d’inscrire un principe de neutralité religieuse au sein du règlement intérieur. Volonté de protection de la laïcité ou bien contrôle de la liberté religieuse des salariés ? Il semblerait que les entreprises privées doivent prendre exemple sur le secteur public en ce qui concerne la neutralité religieuse.
Les travailleurs saisonniers mieux protégés
La loi El Khomri semble vouloir assimiler le statut des travailleurs saisonniers à celui du CDD plus protecteur. De ce fait elle reconnait de nouveaux droits aux travailleurs saisonniers qui pourront bénéficier par exemple désormais d’une prime d’ancienneté.
L’assouplissement des règles relatives au temps de travail
Si la durée légale de travail demeure celle de 35 heures, seuil de déclenchement des heures supplémentaires, la durée maximale quotidienne de travail peut, quant à elle, être portée de 10 à 12 heures par accord d’entreprise en cas d’activité trop importante nécessitant une présence du salarié. De même, cet accord d’entreprise peut décider d’une moyenne hebdomadaire de 46 heures sur 12 semaines contre 44 auparavant. Modernisation et sécurisation du travail vous dites… ?
Une « sincère » compréhension du salarie : les congés de deuils allongés
La loi El Khomri consacre une disposition pour le moins judicieuse en rallongeant la durée du congé de deuil accordé au salarié. En effet, le congé qu’un salarié peut demander en cas de deuil de l’un de ses proches bascule à 5 jours au lieu de 2 en cas de décès d’un enfant (tout porte à croire que 5 jours suffisent à se remettre de la mort de son filleul) et de 2 jours pour le décès d’un frère, d’une sœur, d’un parent ou d’un beau parent au lieu d’1 seul. Notons ici la prise en compte sincère de la tristesse du salarié…
La médecine du travail évoqué
La loi El Khomri apporte une légère modification quant à la visite médicale d’embauche. Cette visite auparavant obligatoire devient désormais facultative, sauf pour les postes à risques qui nécessitent la consultation d’un médecin. Là encore, une telle disposition peut entraîner des abus et une diminution de l’obligation de sécurité de l’employeur qui peut donc se passer de visite médicale d’embauche.
La mise en place du référendum d’entreprise
Les syndicats minoritaires qui représentent moins de 30% des salariés peuvent désormais, grâce à cette loi, initier des référendums au sein de l’entreprise. Si le référendum est approuvé par la majorité qualifiée des suffrages exprimés, celui-ci sera validé, sans que les syndicats majoritaires puissent s’opposer au résultat.
L’apparition du plafonnement des indemnités prud’homales
A l’origine, le Code du travail ne prévoyait pas d’indemnités en cas de « licenciement abusif » accordées
par les prud’hommes, mais seulement un minimum de 6 mois de salaire, en plus de l’indemnité légale
de licenciement pour des salariés avec au moins 2 ans d’ancienneté.
Toutefois, le projet de loi El Khomri a proposé la mise en place d’un barème fixe nommé « barème
macron », avec l’allocation d’une indemnité minimum en fonction de l’ancienneté. Cette indemnité est
de 1 mois de salaire pour 1 an d’ancienneté et croit proportionnellement pour atteindre jusqu’à 20 mois
au delà de 30 ans (article L.1235-3 du Code du travail).
Ce barème crée une précarisation des emplois jeunes. En effet, ceux-ci ne prennent plus la peine de
saisir le conseil des prud’hommes afin de demander l’allocation d’une indemnité de licenciement car les
couts de procédure seront plus élevés que l’indemnité espérée. Alors certes le barème imposé par la loi
El Khomri a réduit pour moitié le nombre de recours effectués auprès du Conseil, ce qui était le but,
néanmoins il permet dans le même temps l’accroissement des licenciements abusifs pour des
employeurs libérés de toute sanction. Alors bonne ou mauvaise chose car, il n’est pas dit que faciliter le
licenciement facilité l’emploi…
La modification du délai de date de départ en conge et des jours de fractionnement
Jusqu’à la loi El Khomri, la période de référence pour la pose des congés était légalement du 1er juin à
l’année N au 31 mai à l’année N+1. La loi Travail permet à l’employeur de fixer une autre période de
référence par accord d’entreprise, d’établissement, ou par convention ou accord de branche (article
L3141-11), sur une année civile par exemple (du 1er janvier au 31 décembre).
Avec la loi Travail, l’employeur peut fixer toutes les périodes de congés payés de son entreprise par
accord d’entreprise (ou d’établissement), ou par convention ou accord de branche, sans avoir à
respecter la condition que 12 jours ouvrables consécutifs soient posés entre le 1er mai et le 31 octobre.
A défaut de tels accords, le congé principal de 12 jours ouvrables continue d’être attribué entre le 1er
mai et le 31 octobre (article L3141-18).
Elle permet aussi à travers l’article L3141-23, par négociation collective, de modifier le nombre de jours
de fractionnement. Cet assouplissement peut être généré par un accord d’entreprise (ou
d’établissement), une convention ou un accord de branche qui peut, par exemple, définir une pose des
congés principaux entre le 1er juin et le 30 septembre.
La loi offre plus de facilités pour l’employeur pour fixer l’ordre de départ en congés payés. A défaut
d’accord d’entreprise (ou d’établissement), ou par convention ou accord de branche, la loi Travail permet
à l’employeur de définir la période de prise des congés et l’ordre des départs après avis du comité
d’entreprise ou des délégués du personnel. Auparavant, seul l’avis des délégués du personnel était
requis.
De même, auparavant, les dates de départ en congé ne pouvaient être modifiées unilatéralement par
l’employeur un mois avant le début des vacances (sauf circonstances exceptionnelles). Désormais, avec
la loi Travail ce n’est plus le cas, en cas d’accord collectif. L’employeur peut revenir sur les dates de
congés dans un délai plus court qui aura été fixé par accord d’entreprise, d’établissement, de branche ou
via une convention collective comme l’affirme l’article L3141-16 du code du travail.
La consécration des accords majoritaires comme étant la nouvelle règle en entreprise
La négociation par accords majoritaires devient la règle en entreprise. Cette règle est présente tant dans
le cadre de la préservation ou le développement de l’emploi que dans la durée de travail, les repos et
congés.
Pour être valides, ces accords devront obtenir la signature des syndicats représentatifs ayant obtenu plus
de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles. A défaut,
l’accord pourra encore être validé par référendum à condition qu’il ait été signé par l’employeur et des
syndicats représentatifs ayant plus de 30% des suffrages exprimés. Si l’accord est approuvé par la moitié
des suffrages exprimés, il sera réputé valide et les syndicats, même majoritaires, ne pourront point s’y
opposer.
Le renforcement du rôle des accords de branches professionnelles*
L’article L.2232-10-1 dispose qu’un accord de branche peut comporter, le cas échéant sous forme
d’accord type indiquant les différents choix laissés à l’employeur, des stipulations spécifiques pour les
entreprises de moins de cinquante salariés.
En nuançant l’approche précédemment exposée, la loi El Khomri, à l’exception des questions relatives au
temps de travail régi par les articles L.3121-1 et suivants, a renforcé le rôle des accords de branches
professionnelles. En effet, sur 6 thèmes (au lieu de 4 auparavant), l’accord d’entreprise doit être plus
favorable au salarié que l’accord de branche. Ces thèmes concernent les domaines liés aux salaires
minima, aux classifications, à la protection complémentaires, aux fonds de de la formation
professionnelle, la pénibilité et enfin l’égalité professionnelle.
Pour tous les autres domaines, c’est-à-dire ceux distincts du temps de travail (régit à l’article L3121-1 et
suivants) et du socle fondamental des 6 thèmes précités, une négociation de branche devra s’engager pour redéfinir les thèmes sur lesquels les accords d’entreprise pourront être moins favorables.
Concernant les contrats saisonniers, les branches négocieront les modalités de reconduction des
contrats, dresseront annuellement un bilan des accords d’entreprise et formuleront des
recommandations tout en veillant au respect des règles de concurrence.
Pour ce faire, les branches seront restructurées pour passer de 700 à 2002 en 2 ans et pourront bénéficier d’accords-types que l’on retrouve à l’article L.2232-10-1 du code du travail.
Le renforcement de la lutte contre les discriminations, le harcèlement sexuel et les agissements sexuels
La Loi Travail, a tout de même entrepris une mesure assez importante concernant les discriminations, le harcèlement et les agissements sexuels. Elle a permis l’ajout d’une définition et d’une interdiction des agissements sexistes, en plus de celles du harcèlement sexuel. Cette disposition se retrouve désormais au sein des articles L. 1321-2, L. 4121-2 et L. 4612-3 du code du travail et de l’article 6 bis de la loin° 83-634 du 13 juillet 1983 portant sur les droits et obligations des fonctionnaires.
La mise en place du compte personnel de l’activité
La loi Travail a introduit la création du compte personnel d’activité. Surnommé « capital du travailleur», ce compte est ouvert pour chaque personne au début de sa vie professionnelle. Au fur et à mesure de sa carrière, chaque personne accumulera des droits et pourra décider de leur utilisation. Par exemple, ce compte peut être utilisé pour un départ à la retraite anticipé ou encore une formation. L’idée est que le CPA soit ouvert à tous les travailleurs, quel que soit leur statut.
Une nouvelle architecture des règles en matière de temps de travail
La loi El Khomri prévoit, à travers l’article L. 3121-41, la mise en place un dispositif d’aménagement du
temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures supplémentaires sont
décomptées à l’issue de cette période de référence, qui « ne peut dépasser trois ans en cas d’accord
collectif et neuf semaines en cas de décision unilatérale de l’employeur ».
Par ailleurs, la Loi El Khomri prévoit également d’autres mesures en matière d’aménagement et de
rémunération du temps de travail telles que :
- Une redéfinition de la durée de travail effectif comprenant le temps de la restauration et les pauses sous certaines conditions (art. L. 3121-1 et L. 3121-2 du code du travail).
- Une obligation de contreparties pour le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage, lorsque le port d’une tenue de travail est imposé (art. L. 3121-3 du code du travail).
- Des obligations de contreparties lorsque le temps de déplacement professionnel dépasse le temps normal de trajet (art L. 3121-4 du code du travail).
- Des contreparties sont possibles lorsque le temps de déplacement professionnel est majoré du fait d’un handicap (art. L. 3121-5 du code du travail).
- La possibilité de rémunérer des temps de restauration et de pause mentionnés à l’article L. 3121-2, même lorsque ceux-ci ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif, après négociation collective (art. L. 3121-6 du code du travail).
- La prise en compte de la période d’astreinte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien et des durées de repos hebdomadaire (art. L. 3121-10 du code du travail).
- Dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de vingt minutes consécutives (art L. 3121-16).