« La responsabilité civile : il faut réparer le mal, faire ce qu’il semble n’avoir été qu’un rêve.» disait le Doyen Carbonnier (J. CARBONNIER, Droit civil, les obligations, Paris : PUF, 2004, n° 1114, p. 2253). Mais la réparation ne doit pas être systématique. La force majeure est sa limite, limite toutefois elle-même très circonscrite comme en témoigne l’arrêt objet de cette analyse. Maxence Genty avocat à Lyon
Le 25 novembre 2020 (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2020, n° 19-21.060, bull), la question des conditions d’exonération de la responsabilité contractuelle est soulevée devant la Cour de cassation. Dans les faits, une société thermale et un couple de particuliers ont conclu un contrat d’hébergement le 15 juin 2017 permettant à ces derniers de bénéficier d’un logement mis à disposition par la société du 30 septembre 2017 au 22 octobre 2017 pour la somme de 926,60 euros, laquelle a été payée à la société le 30 septembre 2017. Toutefois, le 4 octobre 2017 un membre du couple met un terme à son séjour suite à son hospitalisation et sa
compagne quitte l’établissement le 8 octobre 2017.
Suite à cela, le couple assigne la société co-contractante en résolution du contrat et en restitution des sommes versées au motif qu’ils ont été empêché par un cas de la force majeur. Les premiers juges statuent en faveur du couple et condamnent la société au paiement d’une certaine somme en imposant la résolution du contrat effective à la date du 9 octobre 2017, estimant la force majeure caractérisée.
La société se pourvoi alors en cassation en invoquant que la force majeure ne devrait concerner que l’exécution de l’obligation du débiteur et non le fait pour celui-ci de ne pouvoir profiter, pour des motifs qui lui sont propres, de la prestation offerte en contrepartie. En l’espèce, le débiteur pouvait payer mais pas profiter du service duquel il était créancier alors que la société avait maintenu ce service. On relève d’ores-et-déjà le caractère inique dans l’argument soulevé par la société, faisant donc fi de l’intérêt du contrat pour son co-contractant.
Concrètement donc pour la société, il n’y a pas force majeure puisque la force majeure a simplement pour objet d’empêcher l’exécution de l’obligation, or ici, les époux invoquent la force majeure non pas pour justifier l’impossibilité d’exécuter leur obligation mais car ils ont été empêchés de jouir de la prestation qui leur était due pour des raisons qui leurs sont personnelles. En l’espèce, l’état de santé d’un des deux requérants a empêché le couple de profiter de la prestation dont ils étaient créanciers, et non pas d’exécuter leur obligation contractuelle, c’est-à-dire de payer.
Ainsi, la Cour de cassation doit répondre à cette question : la force majeure de l’article 1218 alinéa 1 du code civil s’applique-t-elle uniquement à la question de l’exécution de l’obligation, en l’espèce de paiement, sans prendre en considération la cause de cette obligation, en l’espèce le fait de pouvoir de jouir du séjour ?
La Cour de cassation fait une application stricte de l’article 1218 alinéa 1 du Code civil en considérant que seule l’exécution de l’obligation importe, faisant abstraction de la cause de cette obligation pour considérer l’application d’un cas de force majeure.
La prise en compte antérieur du fait de jouir de la prestation, pour le débiteur d’une somme d’argent et la conception subjective de la cause
La force majeure est prévue comme une cause d’exonération de la responsabilité civile du
débiteur de l’obligation contractuelle envers son créancier : il est possible d’invoquer l’article
1218 lorsqu’un « évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être
raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat » empêche le débiteur d’une
obligation contractuelle d’exécuter celle-ci.
Or, il s’avère que dans un arrêt du 10 février 1998, les juges du quai de l’horloge ouvraient, à
l’époque, dans les mêmes conditions que l’arrêt ici analysé, la possibilité pour le créancier
d’une prestation contractuelle d’invoquer la force majeure aux fins de résolution du contrat
(Cass. civ. 1ère, 10 février 1998, n°96-13.316, Bull.). En l’espèce, une étudiante avait
commencé à régler des frais de formation mais n’avait pas pu assister à la formation prévue
pour des raisons de santé et avait donc suspendu le paiement. L’école a donc assigné
l’étudiante en paiement du reste de la somme prévue mais la Cour de cassation a statué en
faveur de l’étudiante, considérant qu’elle avait été empêchée par un cas de force majeure.
Une différence toutefois est à noter, alors que dans les faits de l’arrêt de 2020, le couple
n’était plus débiteur, ayant d’ores et déjà réglé l’intégralité de la prestation, l’étudiante était
elle encore débitrice pour partie de ses frais de scolarités qu’elle n’avait pas entièrement réglé.
Ceci étant dit, on ne peut s’arrêter à cette légère différence du début de l’exécution de la
prestation pour expliquer la différence entre les deux arrêts. En effet, l’arrêt de 1998, énonce
clairement que la maladie a empêché l’étudiante de suivre la formation dispensée par l’école
et donc de jouir de la prestation fournie par l’école. Elle considère donc l’intérêt du débiteur
de l’obligation à jouir de la prestation dont il s’est acquitté.
La cause subjective, c’est à dire non uniquement l’existence de la contre-prestation, mais le
fait de pouvoir en jouir pour le débiteur, donc la prise en compte de son intérêt, est pris en
compte par la Cour de cassation. La Cour de cassation, très souple dans son application du cas
de force majeur, puisqu’elle considère que le cas de force majeur s’applique non seulement
aux prestations empêchées du contrat mais également aux motifs disparus des cocontractants,
énonce par ailleurs pour parachevé son raisonnement que l’extériorité n’est pas un élément
nécessaire.
Il convient de recontextualiser cet arrêt, qui intervient 2 ans après le célèbre arrêt Chronopost
de la Cour de Cassation du 22 octobre 1996 ayant créé la notion de conception subjective de
la cause. Mais depuis les choses ont bien changé, comme en atteste cet arrêt de 2020 et cette
conception du droit tirée de l’arrêt de 1998, empreinte d’équité et de moralité, semble bel et
bien abandonnée au profit de la sécurité juridique.
Une interprétation moderne stricte excluant l’application de la force majeur aux motifs du cocontractants et l’abandon de la conception subjective de la cause
Dans cet arrêt, la Cour de cassation tranche avec l’arrêt précité et on constate un revirement
de jurisprudence clair et net. Désormais le fait de jouir de la prestation pour le créancier n’est
plus pris en compte dans l’application du cas de force majeur. Le fait qu’il ait été empêché de
profiter de la prestation par un événement ayant les caractéristiques de la force majeure ne
permet pas de considérer qu’un cas de force majeur empêche pour autant le créancier d’une
prestation d’exécuter son obligation de paiement dans la mesure où le prestataire a lui
maintenu sa prestation et qu’inversement le créancier de la prestation peut toujours payer,
quand bien même il ne pourra plus profiter de la prestation.
La décision a le mérite de se conformer à l’article 1103 du code civil posant le principe de la
force obligatoire et d’assurer la sécurité juridique du contrat, les parties devant exécuter ce à
quoi elles s’étaient engagées initialement, peu importe les évènements survenus entre temps.
En effet, si la disparition des motifs ayant fondé le contrat pouvait systématiquement anéantir
ce dernier, cela serait problématique et contreviendrait trop fortement au principe de sécurité
juridique guidant notre droit.
Toutefois, on ne peut que regretter, surtout en l’espèce la souplesse de l’analyse de la Cour de
cassation issue de l’arrêt de 1998, qui permettait à l’équité de se faire une place dans la sphère
du droit au travers d’un raisonnement juridique fluide et élégant, qui bien appliqué permettait
de ne pas trop entaché la sécurité juridique. Mais définitivement cette approche semble
abandonnée par la Cour de Cassation, après la réforme de 2016 du droit des obligations et
encore peut-être plus après les années 2020 et 2021 grandement marquées par une incertitude
économique en raison de l’apparition du COVID 19.
Définitivement, face à l’abandon de plus en plus net de la cause dans sa conception subjective
et face à un contexte économique mais aussi climatique de plus en plus fluctuant, la Cour de
cassation semble appliquer de en plus restrictivement les cas de force majeur, sous peine de
les voir se multiplier en trop grand nombre, optant ainsi, à regret peu-être, pour une certaine
facilité…